Articles sur Arthur Maury.
Voici quelques articles ou extraits de livres présentant la vie d'Arthur Maury :
Le Collectionneur de Timbres-Postes, n°326, 1er décembre 1907
NÉCROLOGIE
Le journal était sous presse quand est survenu
le décès presque subit de M. Arthur Maury qui, frappé de congestion vendredi
dernier, s'est éteint dimanche 1er décembre, à l'âge de 63 ans. Nous faisons
part de cette douloureuse nouvelle aux lecteurs du Collectionneur de
Timbres-poste.
Fondateur de ce journal qu'il ne cessa de diriger
toujours activement depuis plus de 40 ans, M. Maury laissera d'unanimes
regrets dans le monde philatélique tout entier qui perd en lui un de ses
doyens. Les nombreuses marques de sympathie qui affluent de toutes parts
au domicile du défunt montrent en quelle estime le tenaient ses confrères
et tous ceux qui l'ont connu.
Philatéliste de la première heure, il s'occupa
toujours des timbres, et se consacra entièrement à leur étude. Les ouvrages
qu'il a écrits sur ce sujet sont vivants, il les a pour ainsi dire vécus.
En même temps qu'un auteur consciencieux, la philatélie perd en lui un érudit
et un collectionneur passionné.
Héraldiste, il avait réuni dans son Hôtel
de la rue Spontini des collections intéressantes de bibelots curieux
et historiques souvent cités dans les Revues illustrées.
Il s'est efforcé
de démontrer l'origine populaire du Coq gaulois et de le faire réapparaître
dans les armoiries de la France, ce à quoi il a réussi en partie. On se
souvient de l"important ouvrage(1) qu'il a publié sur ce sujet, ouvrage
qui fut honoré d'une souscription du Gouvernement.
Tout récemment, il
faisait paraître un volume de 400 pages sur les timbres français(2), et les
lecteurs du Collectionneur ont vu dans le numéro précédent l'accueil
qui a été fait à cette publication si complète et si documentée.
Officier
de l'Instruction publique, officier du Nicham Iftikhar, décoré de plusieurs
ordres étrangers, M. Maury avait été nommé président de la Chambre Syndicale
des Négociants en timbres-poste dès sa fondation. Il était également, aux
côtés de MM. Léo Claretie et d'Allemagne, vice-président de la Société des
Amateurs de jeux et jouets anciens. Expert près le Tribunal de la Seine,
M. Maury, dans cette dernière fonction, et dans les travaux multiples qu'il
avait entrepris malgré l'état précaire de sa santé, s'était surmené ces
temps derniers ; il est mort pour ainsi dire sur la brèche.
C'était un
homme affable, aimé de son personnel, toujours prêt à rendre service et
qui sera regretté de tous ceux qui l'ont approché.
Ses obsèques auront
lieu mercredi 4 décembre, à 10 heures du matin, en l'église Notre-Dame-de-Lorette.
On se réunira 6, boulevard Montmartre.
Note sur la nécrologie du Collectionneur
(1) Les
Emblèmes et les drapeaux de la France : le coq gaulois, par Arthur Maury,
Paris, 1904.
(2) Histoire
des timbres-poste français, bandes, cartes, timbres-télégraphe et téléphone,
essais, marques postales et oblitérations, par Arthur Maury, Paris, 1907
Ce qu'était la philatélie en 1867, de Georges Brunel, Yvert & Cie Editeurs, Amiens, 1930, page 29
C'est tout jeune, à peine au sortir de l'enfance,
qu'Arthur Maury avait senti la manie de la collection. Il l'avoue lui-même
: dans son pupitre, en pension, il avait une ménagerie toute agencée : un mulot,
un pierrot, un lézard et des colimaçons ! il avait même, dans une bouteille,
un poisson ! Aussi, un jour qu'à la Bourse aux timbres un camarade lui demandaît
si son père ne recevait pas de lettres de l'étranger et, dans ce cas, de
lui donner les vignettes postales, son attention fut tout de suite éveillée.
A quelque temps de là, il vit, affichée dans les rues de Paris, l'annonce du
Manuel de Timbres-Poste (celui de Potiquet) ; il se le procura, le lut
et sa voie était tracée, il résolut de faire collection et bientôt de faire
du trafic. Il avait demandé à son père de lui laisser une partie de vitrine
où il exposait ses doubles ; ce petit commerce fut des plus fructueux et bientôt
il abandonnait la ganterie pour se consacrer exclusivement au commerce de timbres-poste.
D'abord 5, rue de Richelieu, il fut, pour cause d'expropriation, amené à s'établir
25(1), rue Le Peletier (en face de l'Opéra, où il occupait une petite boutique
très achalandée), enfin à la fin de 1869, il se transportait au 80, rue Saint-Lazare
(là où est maintenant la Maison Pavoille), qui devint le centre de tous les
collectionneurs. Dès 1864, il avait fondé le Collectionneur de Timbres-Poste
qui paraît toujours(2) et qui se trouve ainsi être le plus ancien journal philatélique.
En Juillet 1891, il ouvrait de vastes magasins boulevard Montmartre à la stupéfaction
de tous les négociants du quartier, qui ne pouvaient s'imaginer qu'il faille
une si grande place pour vendre des petits carrés de papier ! Son premier catalogue
date de Décembre 1864, il portait la mention : par Maury fils, 5 rue de Richelieu,
avec succursale, 52, rue Napoléon, à Boulogne-sur-Mer !
Le nom de Maury fut un symbole : il personnifia
pendant longtemps la philatélie, car il avait été l'un des premiers à
adopter ce vocable ; la variété d'albums qu'il avait créés lui avait valu une
nombreuse clientèle de jeunes gens qui sont devenus par la suite de grands collectionneurs.
C'était un homme aimable et courtois, un travailleur
acharné, ayant beaucoup d'esprit et d'à-propos et qui maniait suffisamment sa
langue pour lancer de temps en temps des articles intéressants. Il publia un
grand nombre d'études remarquables comme son Histoire du timbre-poste français,
son Catalogue de marques postales et une étude historique sur le Coq
Gaulois, car il avait une marotte : il aurait voulu que le coq devînt l'emblème
français sur toutes les vignettes. Il est mort, très riche, le 1er Décembre
1907.
Note sur le texte de Brunel
(1) Erreur.
la boutique était au 23, rue Le Peletier.
(2) Sa
revue s'est arrêtée en 1968.
Le centenaire de la maison Arthur Maury 1860-1960, de Henri Leroux et André Maurice, pages 7-9, 28-29
Il paraîtra légitime à tous ceux qui aiment le timbre-poste et son histoire de placer l'année 1960 sous le signe d'Arthur Maury, ce « grand-père de la philatélie », qui fut et qui reste l'un de ses plus illustres pionniers : un siècle, en effet, se sera écoulé depuis que tout jeune homme il décidait de vendre des timbres-poste pour collection, un siècle au cours duquel devait s'épanouir cette science qui lui doit tant — et jusqu'à son nom même de philatélie.
(...)
Né le 31 janvier 1844 au cœur du vieux Paris,
rue du Petit-Musc, Arthur Maury était fils de modestes commerçants. S'étant
spécialisé dans la vente de gants, son père alla s'installer à Boulogne-sur-Mer.
Quelques
années plus tard, en 1860, le jeune Maury, qui depuis plusieurs années déjà
collectionnait les timbres et en échangeait, notamment avec les nombreux
Anglais qui chaque été transitent par Boulogne, obtint de son père qu'il
concédât toute une vitrine et c'est là qu'il installa ses feuilles de timbres,
soigneusement présentées à prix marqués.
Rapidement, une petite clientèle
se forma ; pour la satisfaire, il dût se fournir un peu partout et principalement
à Paris, où il entra en relations avec les collectionneurs, déjà relativement
nombreux et avec les quelques personnes qui en faisaient plus ou moins commerce
: la maison Maury était virtuellement fondée et ce jeune homme de 16 ans
venait de créer une firme, qui porte encore son enseigne dans les locaux
même où il devait l'établir définitivement, après divers déménagements dont
nous allons, pour les amateurs de précision, donner la liste :
Trois ans après avoir « pendu la crémaillère » à Boulogne-sur-Mer, Arthur Maury, mineur émancipé, louait une petite boutique à Paris, face au Théâtre Français, 5, rue de Richelieu.
En 1865, son magasin étant frappé d'expropriation, il le transportait au 23 de la rue Le Peletier.
Le succès, qui s'était déjà annoncé, devenait tel que l'emplacement s'avérait insuffisant pour abriter l'activité du personnel et la réception de la clientèle. Arthur Maury louait alors des locaux plus spacieux, 92, rue Saint-Lazare. Quelques années plus tard, c'est tout un hôtel particulier de la cité Malesherbes qu'il affectait à son commerce en continuelle extension.
Enfin, au mois de septembre 1891, magasins et bureaux furent transportés et réinstallés au cœur du Paris des affaires, 6, boulevard Montmartre, où cette vieille et sympathique maison maintient la tradition de son illustre fondateur, sous l'égide de son propriétaire-directeur, M. Roger North.
Ses
trente années d'activité commerciale avaient déjà procuré à Arthur Maury
une réussite exceptionnelle qu'il devait parachever pendant les seize années
qui s'écoulèrent jusqu'à sa mort, survenue, 6, boulevard Montmartre, le
1er décembre 1907.
Plus remarquables encore que cette fortune matérielle,
sont l'ampleur et la qualité de l'œuvre qu'il édifia au cours de 45 ans
de labeur incessant et dont nous allons évoquer les principaux chapitres.
(...)
Dans l'un des premiers numéros du Collectionneur
de timbres-poste, Arthur Maury présentait favorablement une suggestion de
M. Herpin, collectionneur sagace et, sans doute hellénisant, qui
proposait pour le goût des timbres-poste le vocable « philatélie ».
Adopté
assez rapidement à l'étranger, ce terme devait être longtemps discuté en
France, contre ceux de « timbrologie » et de « timbrophilie »
défendus respectivement et avec une égale ténacité par deux « ancêtres »
de la collection de timbres, Mahé et Dr. Legrand.
Arthur
Maury et son journal devaient aboutir à l'imposer définitivement et universellement.
(...)
Un des souvenirs les plus joyeux de la vie d'Arthur Maury se rapporte à un voyage qu'il fit au Mont-Blanc, environ 1900. Se trouvant dans un hôtel fréquenté par des étrangers de distinction, il s'amusa, au lieu de donner son véritable nom, à inscrire sur le livre des voyageurs : Yruam (anagramme de Maury), prince des Serbmit (anagramme de Timbres) et il colla en regard une vignette-réclame portant les mêmes inscriptions et qu'il avait fait imprimer, en couleurs variées, pour les besoins de son commerce. Cette supercherie un peu enfantine eut pour résultat qu'il fut le point de mire de plusieurs dîneurs et dîneuses et que le maître d'hôtel le combla de prévenances, « ce qui l'obligea à donner vingt sous de pourboire ».
(...)
Arthur Maury était assurément, dans le Paris
de la « belle époque » une personnalité marquante — et nos précédents
articles montrent bien quels titres il avait à l'être légitimement.
Sa célébrité dépassait largement nos frontières.
Citons cette anecdote :
Le prince russe Wladimir T... qui séjournait
à Paris, après avoir eu la fantaisie de visiter en personne — et presque
solennellement — la maison de la rue du Petit-Musc où Maury avait vu le jour,
s'était mis en tête, à la suite d'un caprice de sa fiancée, de vendre 15.000
francs sa collection de timbres : il la jeta au feu parce que Maury ne voulait
lui en donner que 13.500 ! (C'étaient des francs-or).
Nous avons déjà
dit qu'il fut reçu — et écouté — par les plus célèbres personnalités politiques
de son temps.
Il était légitimement fier des relations qu'il avait entretenues
avec Victor Hugo, avec l'ex-empereur du Brésil Dom Pedro, avec bien d'autres
célébrités encore.
Titulaire de plusieurs ordres étrangers, il avait
été fait Officier d'Académie dès 1888, et promu Officier de l'Instruction
publique en 1900.
Il n'avait pas encore obtenu, quand il mourut en 1907,
la Croix de la Légion d'Honneur : elle était, semble-t-il, largement méritée
par ce géant du commerce philatélique, par cet écrivain consciencieux et
érudit, qui a laissé entr'autres œuvres : L'Histoire du Timbre-poste
français, et Emblèmes et Drapeaux de la France.
© Christian Boyer, http://www.christianboyer.com/philatelie