Réactions à l'article "Baptême"
Voici les textes des réactions parues en décembre 1864, immédiatement après l'article Baptême proposant le mot philatélie, dans les deux revues concurrentes :
D'autres réactions suivront pendant près de 30 ans en France : voir aussi dans une autre page la concurrence Maury / Mahé, où l'on peut lire des extraits d'un incroyable article de 1893.
Le Collectionneur de Timbres-Poste, n°6, 15 décembre 1864, pages 31-32
CORRESPONDANCE
A propos de notre article Baptême, nous avons reçu un grand nombre de lettres, le défaut d'espace ne nous permet que d'insérer quelques passages.
Monsieur le rédacteur,
Votre nouveau mot est charmant, joli, bien approprié et bien étymologié. Si doux est Philatélie, on dirait le nom d'une nouvelle sainte qui viendrait de s'épanouir ! Je ne m'étonnerais pas que bientôt quelques enfant d'aimables Philatèles en fussent baptisés. Les noms sont quelquefois comme le reflet et la marque d'une époque : combien d'hommes, nés devers 1793 et 94, ont été prénommés, qui Pausanias, qui Torquatus, qui Primidi, Brutus, Décadi... Or, leurs pères n'étaient point fous, ridicules encore moins ; ils n'avaient que la fièvre. Philatèle n'est-il pas plus joli, avec ou sans fièvre ?
Mais attendons-nous à des critiques, et surtout à des lenteurs(1). Il y en a dans les adoptions de toute nature : devant l'Académie comme devant les applications du Code civil. Il faut, vous le savez, que les enfants aient de la barbe pour être adoptés définitivement, et l'admission des mots nouveaux a toujours été entourée de grandes difficultés. On voit de ces mots-là être dans la préface et non dans le dictionnaire même, c'est-à-dire n'être encore que sur le seuil de la porte du temple. Mais votre nouveau-né grandira plus vite. Il faudra bien, comme l'eussent fait eux-mêmes les Vaugelas et les Boileau, admettre un mot nouveau qui manque pour particulariser une science nouvelle et un amour nouveau : et quel autre, meilleur que le vôtre, pourrait être proposé ? Nos mœurs néologiques, comme toutes autres mœurs, suivent la marche d'un temps qui s'appellera le siècle de la vapeur. Fallait-il dire le siècle philatèle ? Il durera plus d'un siècle l'amour des timbres-poste, comme celui des médailles, des gravures, des tableaux, des antiquités et de tout ce qui porte avec soi le double cachet de l'agréable et de l'utile, ou seulement celui du bon goût !
Vous avez été bien inspiré aussi en vous adressant aux femmes. Elles ont plus de goût que les hommes, et elles pèsent, ainsi qu'on l'a dit de toute éternité, elles pèsent doucement et sûrement sur les mœurs de tous et sur l'éducation des enfants, « l'espoir de la » Philatélie.
Recevez donc tous mes compliments encore et l'assurance, etc.
JEAN L....
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« Londres.
Vous voulez un « baptême », un nom qui fasse oublier celui de « timbromanie », j'accours à votre appel, heureux de pouvoir donner mon avis sur cette grave question.
Car un baptême est une fête
Pour
des parents, pour des amis !
« Philatélie » est, sans conteste, un bien doux nom, mais définit-il assez l'œuvre du collectionneur de timbres ?... Pourquoi ne pas ajouter tout simplement aux noms si bien connus d'archéologue, de géologue, etc., celui de typologue formé de τυπος, marque ou timbre (d'où τυποω, je timbre), et Λογος, discours, entretien ou étude.
Typologie(2) signifierait par conséquence étude ou recherche de timbres (poste) (appelés Frimaerke, Freimarke, Post-marke, Franko-marke dans les Etats du Nord)..... Quoi qu'il en soit, la critique décidera, mais nous sommes prêtes à être philatèles à Londres, si typologues ne se fait pas à Paris.
J'ai l'honneur, etc.
A.-E. DE LA HYLAIS.
Notes sur l'article Correspondance
(1) Il
y en eu effectivement en France. Ce fut plus rapide à l'étranger.
(2) Définition
de Typologie donnée aujourd'hui par le Larousse : "Etude des
traits caractéristiques dans un ensemble de données, en vue d'y déterminer
des types, des systèmes."
Le Timbrophile, n°2, 15 décembre 1864, page 10
A NOUVELLES CHOSES, NOUVEAUX NOMS
Au moment où s'agite la question de trouver non seulement un nom pour qualifier notre nouvelle science, mais encore toute une langue nouvelle pour dénommer raisonnablement et les choses et les gens de la collection timbro-postale, nous tenons à faire remarquer que le premier, dans notre circulaire du mois d'octobre, nous nous sommes éloigné des appellations ridicules ou injurieuses que l'on donnait à la collection et aux collectionneurs et avons posé ce terme de Timbrophilie. Nous rappelons cela simplement pour établir l'ordre des dates et non pour chercher un fétu dans l'œil de qui que ce puisse être.
Nous ne réclamerons pas un brevet (s. g. d. g.) pour avoir trouvé ce nom de Timbrophilie, mais on ne nous refusera pas de convenir qu'il dit bien ce qu'il veut dire, qu'il se retient et se prononce facilement, et que, bien qu'il ne soit peut-être pas d'une construction irréprochable, il sait du moins sauver les apparences par la couleur hellénique de sa finale, qui nous paraît du meilleur effet.
(Qu'on nous pardonne toutes ces carresses, mais une mère, non, un père, voulions-nous dire, est toujours aveugle pour ces enfants.)
Partant de là, pour en finir avec les noms de timbromanie, collectiomanie, etc., nous adopterons à l'avenir, en entretenant nos lecteurs, les mots suivants :
Nous n'avons la prétention de faire ni autorité, ni loi. Nous emploierons ces termes jusqu'au jour où, de l'avis de tous, on aura trouvé mieux, et alors nous nous rallierons franchement à ce qui sera adopté.
LE DIRECTEUR DU TIMBROPHILE
© Christian Boyer, http://www.christianboyer.com/philatelie