Article "Baptême"
Le mot philatélie, utilisé dans la majorité des langues (philately en anglais, philatelie en allemand, filatelia en italien, espagnol et portugais, filatelie en néerlandais, filateli en suédois, filatelistyka en polonais, ...) a été inventé en France en 1864, sous Napoléon III. Soit 15 ans après l'apparition des premiers timbres-poste français (1849). Il est composé de deux racines grecques : φιλος = philos qui veut dire ami (d'ailleurs c'est philotelia en grec), et ατελεια = ateleia qui veut dire exempté de taxe, affranchi, car les timbres-poste ont été créés pour exempter de taxe le destinataire. Auparavant, quand les timbres n'existaient pas, on devait payer chaque courrier reçu !
C'est un des premiers collectionneurs français, G. Herpin, qui propose ce nouveau mot dans la revue Le Collectionneur de Timbres-Poste éditée par Arthur Maury. Son article s'intitule "Baptême" et paraît dans le numéro 5 du 15 novembre 1864. Par contre sa proposition philatèle n'aura pas de succès, c'est philatéliste qui est maintenant utilisé.
Numéro
5 du Collectionneur de Timbres-Poste
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Voici le texte intégral disponible pour la première fois sur Internet (des copier-coller sauvages sont ensuite à craindre...). Signalons que la traduction anglaise parue dans le Journal of Philatelic Literature en avril 1915 était déjà présente sur Internet http://www.apfelbauminc.com/library/originofphilately.html avant cette version originale française. Dès 1865, les anglais avaient fait un bon écho de l'article de Herpin : "What shall we call it?"
Le Collectionneur de Timbres-Poste, n°5, 15 novembre 1864, pages 20 et 21.
Article
"Baptême" (cliquer pour agrandir une page)
BAPTÊME
N'est-il pas étrange que depuis six ou sept ans que l'on
s'occupe de l'étude et de la recherche des timbres-poste, on n'ait pas encore
songé à donner un nom à cette attrayante occupation qui fait le bonheur
des uns et la fortune des autres ? Il est impossible de regarder comme une
dénomination acceptable le mot : timbromanie(1).
Ce n'est en effet qu'un terme légèrement injurieux que certaines gens, en
croyant faire un mot, articulent avec une intention sarcastique d'un effet
d'ailleurs assez innocent. C'est donc faute de mieux qu'on l'a employé jusqu'ici
; mais il est temps de le bannir ignominieusement de notre vocabulaire ;
bien plus, lecteurs et écrivains de ce recueil, nous devons nous efforcer
d'oublier cette odieuse expression et de douter même de son existence. Maintenant,
en admettant que la bête soit morte et le venin aussi, il faut lui trouver
un successeur qui n'ait rien de commun avec elle et qui même compte autant
de qualités qu'elle avait de défauts. Mais où trouver cet oiseau rare ?
Chacun pouvant donner son avis sur cette grave question, et la fortune favorisant
les audacieux, nous nous hasarderons à formuler ici notre opinion.
Tout
le monde a pu remarquer que la plupart des mots nouveaux avaient pour racine
des mots anciens, sans doute à cause de l'affinité que les extrêmes ont
les uns pour les autres ; or, les néologismes empruntant leurs éléments
aux Latins et aux Grecs, nous allons tenter aussi une incursion dans l'un
de ces idiomes. Nous entendons déjà les cent voix de la critique nous crier
:
Qui
nous délivrera des Grecs et des Romains !
Nous bravons ces vaines clameurs,
nous poursuivons notre carière(2),
selon l'expression de M. Baour-Lormian(3),
et nous disons que puisque la numismatique a tiré son nom du latin numisma,
médaille, et sphragistique(4)
(étude des sceaux, sans jeu de mots)(5)
du grec σφραγιζω,
je scelle, nous pouvions
aussi, vu sa richesse, faire quelque emprunt à cette langue généreuse et
proposer aux amateurs le mot : Philatélie,
comme exprimant l'idée que le terme odieux stigmatisé plus haut s'efforçait
de ridiculiser.
15
novembre 1864 : la
toute première apparition du mot Philatélie
Philatélie
est formé de deux mots grecs : φιλος(6)
ami, amateur, et ατελης(7) (en
parlant d'un objet) franc, libre de toute charge ou impôt, affranchi : substantif
: ατελεια(8).
Philatélie signifierait donc : amour de l'étude de tout ce qui se rapporte
à l'affranchissement.
Maintenant, puisque le mot est lâché et que le
nouveau-né a vu le jour, en vue d'augmenter ses chances de bonheur et de
prospérité, nous prions instamment nos jeunes et charmantes lectrices d'en
être les marraines. Eh quoi ! dira-t-on, vous parlez grec aux jeunes filles
? C'est choisir un singulier moyen pour leur plaire et demander leur patronage.
Le moyen n'est peut-être pas si mauvais que vous le supposez. Qui sait si
l'étrangeté même de la requête ne sera pas sa meilleure recommandation.
A qui donc, d'ailleurs, une chose nouvelle, un mot nouveau, peuvent-ils
demander aide et protection, si ce n'est à la jeunesse amie des nouveautés
en toute chose, et dont les faibles implorent bien rarement en vain la générosité
? Du reste, au nom du grec, nous n'affichons aucune des folles prétentions
du Vadius de notre Molière(9).
C'est donc sans témérité, mais aussi sans embarras, que nous sollicitons
l'approbation de la plus belle moitié du genre humain, sûrs que nous sommes,
si nous l'obtenons, de celle de l'autre moitié.
En définitive, nous n'imposons
rien ; seulement la lice étant ouverte, nous attendons, nous sollicitons
même les communications qui auraient trait à cette question, nous déclarant
d'avance tout prêts à nous ranger à l'avis d'un Philatèle(10)
mieux inspiré.
Notes sur l'article Baptême
(1) Il est amusant de
constater que Timbromanie était le terme utilisé à la une du
numéro 1 de cette même revue, seulement deux mois auparavant, par Arthur
Maury. Timbromanie, timbrologie, timbrophilie resteront longtemps utilisés
en France. Et même dans cette revue pendant une trentaine d'années, avant
que Philatélie reprenne le dessus.
(2)
Coquille. Lire "carrière".
(3)
Pierre-Marie-François Baour-Lormian (1770-1854), poète français et membre
de l'Académie Française. Baour-Lormian avait été surnommé Balourd-Dormand...
(4)
Aujourd'hui, on utilise plutôt le mot sigillographie qui provient du latin
sigillum, sceau.
(5)
Le jeu de mots est-il "étude des sots" ?
Racines
grecques de Philatélie
(6) φιλος =
Philos.
(7) ατελης =
Atelhs.
(8) ατελεια =
Ateleia.
(9)
Dans la pièce de Molière, "Les femmes savantes", Vadius et Trissotin
sont deux prétentieux qui se chamaillent sur l'intérêt de leurs poèmes.
Vadius défie Trissotin à la fin de l'acte III, scène 3 :
Je
te défie en vers, prose, grec et latin
(10)
Là, Herpin n'a pas eu de succès. Autant Philatélie s'est généralisé,
autant Philatèle a échoué, maintenant remplacé par Philatéliste.
© Christian Boyer, http://www.christianboyer.com/philatelie