Herpin, vente de sa collection
Lorsque Herpin vend sa collection début 1866 au juge anglais Frederick A. Philbrick, 10.000 francs, c'est un coup de tonnerre. Car Herpin, l'inventeur du mot philatélie, possédait la plus grosse collection jamais constituée en France, et venait d'être élu président de la première Société Philatélique au monde, fondée à Paris quelques mois auparavant. Ce sera considéré en France comme une trahison, d'autant plus que sa collection part à l'étranger. Cela stoppera net la Société Philatélique. Son acheteur, Philbrick, sera ensuite en 1869 un fondateur d'une autre société : la Philatelic Society, London.
Philippe Ferrari de La Renotière (Paris 1850 - Lausanne 1917)
Son nom
peut aussi s'orthographier Philipp La Renotiere von Ferrary
(portrait extrait du livre Ce qu'était la philatélie
en 1867, par Georges Brunel)
Puis c'est Philbrick qui vendra la totalité de sa collection -sauf Royaume-Uni- au comte Philippe Ferrari de La Renotière en 1880 pour 8.000 livres sterling (ou en 1881 pour 100.000 francs selon Le Timbre-Poste n°438, juin 1899, p.88). Philippe Ferrari, qui était devenu autrichien par adoption, vit en France à l'hôtel Matignon, devenu maintenant la résidence des Premiers Ministres. Il se consacre essentiellement à la philatélie, et accroît en pernanence sa collection, conseillé à partir de 1874 par Pierre Mahé, le fondateur de la revue Le Timbrophile. Au début de la 1ère guerre mondiale, il quitte Paris pour se réfugier en Suisse. A sa mort en 1917, son testament indique que sa collection doit être léguée à Guillaume II, empereur d'Allemagne. Mais cette fabuleuse collection restée en France est revendue aux enchères à l'hôtel Drouot de 1921 à 1926 à titre de dommages de guerre dus par les Autrichiens à la France. Cette vente rapportera un total d'environ 30 millions de francs à la France. La collection Ferrari étant disséminée, la collection Herpin qui en faisait partie est donc elle aussi disséminée !
Voici un article de 1866 décrivant la collection d'Herpin vendue à Philbrick.
Le Timbrophile, n°21, 15 juillet 1866, pages 171 et 172.
LA COLLECTION H......(1)
C'est le cœur plein d'amertume que nous venons parler ici au lecteur de la vente de la plus brillante collection française, la collection mère. Là était le modèle qu'on s'efforçait de copier, là le but à atteindre, là le rêve du collectionneur. Conduite par un guide sans pareil et favorisé du sort, elle marchait toujours à grands pas, frayant rapidement le chemin et devançant impitoyablement et triomphalement toutes celles qui suscitaient en rivales jalouses jusqu'aux efforts les plus inouïs. Celle belle collection n'est plus propriété française; elle nous est perdue à jamais. Elle passera dans quelque album étranger, où elle ira cacher soigneusement le nom de son auteur pour glorifier son nouveau maître. Là, écartelée, fractionnée, mise en pièces, elle trouvera la mort pour aller revivre soudainement dans un autre corps et y apporter l'âme. Dieu veuille que les doigts qui auront l'honneur de la toucher possède cette délicatesse nerveuse qu'apporte une grande dame à se parer, un jour de fête, de ses plus riches diamants ; et maintenant, le lecteur nous ayant pardonné cette espèce d'oraison funèbre, laisson crouler avec un dernier regret un des plus beaux monuments de la timbrophilie et parlons du style qui avait présidé à l'érection de ce monument, le sublime du genre.
Contenant essais, timbres et réimpressions, cette collection, véritable œuvre d'art, était destinée tout autant à satisfaire le bon goût qu'à aider à l'étude de la science timbrophilique la plus scrupuleuse. D'un côté, chacun des exemplaires par la perfection semblait sortir d'un tirage spécial ; de l'autre, chacune des places blanches que l'on voyait dans l'album à de rares intervalles semblait destinée à recevoir quelque spécimen rêvé par l'auteur et presque éphémère. D'oblitérations, point ; si ce n'est par ci par là quelques petites traces impreceptibles. Nous aurions aimé à voir compléter cet album par la collection des différentes annulations des postes ; mais cette étude d'une importance secondaire avait probablement été ajournée comme étant trop ingrate et trop peu artistique. Parmi les timbres rarissimes de cette collection, nous pouvons citer:
puis une série d'essais les plus rares, que nous pouvont hardiment estimer à plus de 4000 francs. Citer ici tout ce que cet album contenait de merveilles serait trop long et nous aurions mieux fait, pour abréger notre article, de commencer par l'énumération de ce qu'il ne contenait pas. Jamais aussi belle collection n'a été vendue jusqu'ici, aussi bien à l'étranger qu'en France. Cette vente restera dans la mémoire des timbrophiles de longues années, et vingt ans ne suffiront pas à éteindre le souvenir chez cuex qui ont eu l'honneur de feuilleter ces pages resplendissantes.
E. RÉGNARD
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Tout en associant nos regrets à ceux de M. Régnard, qu'une collection, la plus belle qu'on ait pu citer en France, ait émigré chez nos voisins les Anglais, nous devons dire qu'ils sont bien tempérés par la connaissance que nous avons eue du nom de son heureux acquéreur, M. Fred. Ph....(2) Nous dirons même, cela va paraître monstrueux, que nous sommes, jusqu'à un certain point, satisfait de cette vente. Nous allons nous faire comprendre.
Il existait deux collections: (pour ne pas parler d'autres cependant très remarquables aussi, celles de MM. de Saulcy, Dr Magnus, Dis, comte Primoli, etc.), celle de M. H... et celle de M. Ph... Un jour cette dernière traversa la Manche et elles se trouvèrent en présence. A partir de ce moment, il y eut des pressentiments ; il semblait que ces deux rivales ne pouvaient exister ensemble, que l'une devait absorber l'autre et c'est ce qui eut lieu, au désavantage de la France, c'est là le seul point qui nous laisse un regret.
Quand cela fut connu, il y eut un moment de découragement dans la phalange timbrophilique, dont M. H... tenait si vaillamment la tête. On crut que tout était perdu et presque tous se demandaient : Vais-je continuer ? Monsieur un tel continuera-t-il ?
Nous, le premier, nous ne pûmes nous défendre d'un certain effroi sur les causes possibles de cette désertion. Mais nous ne tardâmes pas à nous remettre de ce mouvement, et aujourd'hui, si nous avons à reprocher à M. H... un moment de défaillance, nous ne trouvons pas assez de force pour applaudir à la foi robuste de M. Ph..., qui, lorsque la timbrophilie paraissait en péril, est venu, par ce coup hardi, lui donner au contraire la plus haute affirmation, montrant, par la somme importante consacrée à cette acquisition, tout l'intérêt contenu, non-seulement dans la belle collection H..., mais encore dans l'objet même de la collection en général, la timbrophilie.
La collection Ph..., renforcée de la collection H... et des joyaux de la collection V...,(3) vendue récemment à Londres, 365 liv. st., forme aujourd'hui l'ensemble le plus complet que l'on puisse désirer. C'est l'album-type, le livre, et il n'y a plus qu'à envier que l'admirable et unique série d'essais français que possède M. de Saulcy.
Un dernier regret : c'est qu'une collection de cette importance ne soit pas la propriété d'une bibliothèque publique, et que dans l'avenir elle puisse être démembrée et dispersée dans un nombre plus ou moins grand d'albums différents.
P. M.(4)
Notes sur l'article La collection H......
(1) H...
= Herpin
(2) Ph...
= Philbrick
(3) V....
= qui ???
(4) P.
M. = Pierre Mahé
© Christian Boyer, http://www.christianboyer.com/philatelie